Histoire des carreaux de Faïence
Le carrelage existe depuis des millénaires. Mais comment a-t-il réussi à s’implanter dans nos salles de bain, nos cuisines ou sur les buffets de nos ancêtres ? Et comment la faïence est-elle arrivée en France ?
Carrelage et Faïence : les origines
Dès l’Antiquité, le carrelage pavait les sols et les murs. Bien que son usage fût découvert tout d’abord en Mésopotamie, ce sont les Romains qui ont véritablement développé son caractère esthétique.
Durant le Moyen Age, les mosaïques sont délaissées au profit de carreaux plus décorés, présents dans les châteaux et abbayes.
Au IXème siècle, c’est en Irak qu’est maîtrisée la technique de la faïence. Mais le terme « faïence » provient en fait d’un village italien, Faenza, renommé pour ses poteries.
La Faïence est une pâte dite « de basse température » fabriquée à partir d’argile. Après façonnage et un séchage plus ou moins long selon l’épaisseur de la pièce en faïence et l’hygrométrie ambiante de l’atelier, une première cuisson à environ 1 000°C transforme physiquement et chimiquement la pâte de manière définitive. La pièce ainsi cuite est recouverte d’oxyde de plomb ou d’étain qui peut être décoré à l’oxyde, ce qui, après une seconde cuisson, la rend brillante et diminue sa porosité. En Europe cette technique atteint des sommets de virtuosité technique et artistique à la Renaissance et particulièrement en Italie.
L'art des carreaux décorés
Plusieurs influences croisées et de nombreuses avancées technologiques contribuent à l’essort du carreau de faïence.
- L’influence néerlandaise dans le développement céramique en Europe est décisive.
La Compagnie néerlandaise des Indes orientales, importe des porcelaines bleues et blanches venues de Chine. C’est sous l’influence de ces céramiques extrêmes orientales que le goût pour les couleurs dominantes blanc et bleu devient prédominant dans la céramique européenne
L’histoire des carreaux de Delft commence vers la fin du XVIème siècle, quand des potiers venus de Flandre se sont installés en Hollande entre La Haye et Rotterdam. Les premiers carreaux de Faïence hollandais furent peints en polychromie à Anvers, dans le goût de la majolique italienne.
Il s’agit de faïences recouvertes d’une couverte plombifère dont la teinte blanc opaque provient de l’addition d’oxyde d’étain. Toute l’imagination des peintres céramistes s’est largement exprimée sur ces fameux carreaux.
Les sujets dessinés sur les carreaux de Delft sont variés et bon nombre de collectionneurs se sont passionnés pour les acquérir. Animaux, jeux d’enfants, cavaliers, fleurs, moulins, métiers, paysages, bateaux, poissons, scènes mythologiques, enfin tout ce qui reflétait la vie et la culture hollandaise.
Ces Carreaux de Faïence mesurent en général environ 13 cm de côté ; ils comportent le plus souvent 4 discrets motifs d’angle qui encadrent un élément central. Un ensemble de carreaux de Faïence forme parfois un tableau représentant un paysage, une scène de genre, une marine, ou le portrait d’un personnage célèbre. Il s’agit de carreaux de faïence recouverte d’une couverte plombifère dont la teinte blanc opaque provient de l’addition d’oxyde d’étain. L’engouement pour la faïence de Delft est tel que plusieurs pays se sont mis à fabriquer des imitations comme l’Angleterre, l’Allemagne, la France, le Danemark, et nombreux sont les palais européens qui ont tapissé leurs murs de ces fameux carreaux bleus et blancs, brun de manganèse et blanc, ou même polychromes.
- Les carreaux de faïence Leclerc
Parmi les fabriques françaises qui ont aidé à poser l’influence du carreau décoré en France la dynastie Leclerc a compté.
Originaire de Lunéville en Meurthe et Moselle, Rémy Leclerc installé à Martres-Tolosane dès 1762 est à l’origine d’une brillante dynastie de faïenciers qui s’éteignit au tout début du XXème siècle. Si la longévité de 140 ans en activité continue, est remarquable, soulignons que les volumes de productions ne sont pas tout à fait comparables à d’autres manufactures.
Les carreaux de faïence n’étaient pas une exclusivité Leclerc même si ces derniers s’en firent une spécialité ; des fabricants martrais tels que Dignat, puis Ané et Her en produisirent. Néanmoins, aucune de ces productions de carreaux de faïence, ne pût jamais rivaliser avec celle « des Leclerc ».
On considère que J.-P. Leclerc commença la production de carreaux de faïence à Martres-Tolosane dans le premier quart du 19ème siècle.
La « Maison de Tante Léonie », au Musée Marcel Proust à Illiers-Combray (Eure-et-Loir), conserve un ensemble exceptionnel de carreaux Leclerc ; ils décorent ponctuellement la cuisine, les murs extérieurs et le hammam.
Les volumes de production de Leclerc n’étaient pas comparables à ceux de fabriques telles que Desvres, Ponchon, ou Aubagne …
- Le Beauvaisis et le Pas-de-Calais acteurs incontournables en France
La concurrence du Beauvaisis et du Pas-de-Calais, bien que paraissant plus lointaine était bien réelle ; Fourmaintreaux à Boulogne-Sur-Mer disposait déjà d’un réseau structuré de représentants de commerce. Leurs produits étaient moins chers que les carreaux de Martres Tolosane et de bonne qualité car les carreaux de faïence étaient fabriqués en quantité.
Dans le Pas-de-Calais justement, la faïence de Desvres acquiert sa renommée à travers la reproduction, « fait main », de pièces et de décors des plus célèbres faïenceries (Delft, Rouen, Moustiers…). Comme Malicorne, cette entreprise de reproduction nuit à l’apparition d’un style propre à Desvres. Seule une exubérance décorative, proche du baroque rocaille caractérise les productions locales.
Le style graphique tend ponctuellement vers des créations originales puisque Gabriel Fourmaintraux puis Géo Martel comme Henriot à Quimper s’entourent de créateurs.
La région de Beauvais fort bien pourvue en matières premières et dont l’activité céramique importante remonte au haut Moyen-Âge a vu plusieurs manufactures s’établir dans sa région, les fabriques de Saint Paul, Goincourt et L’Italienne notamment ont joué un rôle décisif dans la production de faïence du Beauvaisis.
- L’Azulejos portugais
Un azulejo ou azuléjo désigne, au Portugal, en Espagne et au Brésil, un carreau de faïence voir un ensemble de carreaux de faïence décorés. Ces carreaux sont peints de motifs géométriques ou de figuratives animales, humaines ou de paysages. On les trouve aussi bien à l’intérieur de bâtiments qu’en revêtement extérieur de façade
L’origine des azulejos portugais remonte au XVIème siècle. A la fin du XVIIIème siècle, après le tremblement de terre de Lisbonne, les Portugais emploient massivement les azulejos pour orner les façades de leur capitale, les plus anciens sont des azulejos d’inspiration hispanique ou maure.
Si le caractère ornemental de ce type de production est indéniable il convient de rappeler que son faste est toujours lié, soit à la fonction du bâtiment qu’il recouvre, comme pour les églises, soit à la position sociale et à la richesse de son propriétaire.
Les azulejos se répandent alors dans tout le pays et deviennent un symbole national. Ils peuvent être conçus pour être montés seuls, en apposition de façade. Ils peuvent également être montés en panneaux de multiples de 4 ou de 16 faisant alors apparaitre des motifs géométriques. Les réalisations les plus importantes sont constituées de carreaux de faïence peints pour être montés en panneaux figuratifs de plusieurs mètres de côté à la manière d’une fresque.
- Les zelliges marocains
Le zellige (en arabe « petite pierre polie ») est une mosaïque dont les éléments sont des morceaux de carreaux de faïence colorés découpés, à la martelline après cuisson, dans des carreaux unis entiers. Ces morceaux de terre cuite émaillée sont découpés un à un et assemblés sur un lit de mortier pour former une composition géométrique. Le zellige, utilisé principalement pour orner des murs ou des fontaines, est un composant caractéristique de l’architecture mauresque, originaire du Maroc, présent en Andalousie ainsi qu’en Algérie et en Tunisie
- Le rôle des sources
Rares sont les manufactures détenant les archives qui retracent toute leur histoire. Des organisations et personnalités passionnées ont joué un rôle prépondérant dans la reconnaissance de la variété de la faïence et du carrelage en France.
Benoit Faÿ, à Gerberoy dans l’Oise, a collecté et inventorié plus de 3000 exemplaires de carreaux de faïence différents qu’il a répertoriés dans son livre Le Monde Carré de Benoit Faÿ.
Citons également le long travail du GRECB, Groupe de Recherche et d’Etude sur la Céramique du Beauvaisis. Cette association d’amateurs éclairés et professionnels de l’histoire de l’art passionné est riche de nombreuses archives consultables au sein de son siège Maison Greber, rue de Calais à Beauvais dans l’Oise. Le GRECB édite des revues à caractère scientifique, organise et participe à de nombreux évènements qui contribuent à mieux connaître et valoriser le patrimoine céramique du Beauvaisis.
Les Carreaux des faïenceries Ponchon
- Les caractéristiques des carreaux de Ponchon
C’est sur un filon argileux qui s’étend de la Normandie à l’Oise, La Boutonnière du Pays de Bray, que se situe le village de Ponchon au sud de Beauvais dans l’Oise.
Ponchon a vu naître en 1820 ses premiers carreaux de Faïence stannifères de grand feu. Ces décors sont réalisés grâce à des pochoirs en bois puis en laiton avec des ajouts au pinceau directement sur l’émail cru. Ils seront utilisés, avec l’arrivée de l’eau dans les maisons pour la création de cuisines et de salles de bains. Les couleurs que l’on retrouve le plus souvent sont le bleu cobalt, le bleu de Sèvres, le brun de manganèse.
Les carreaux dits stannifères sont faits d’une pâte argileuse, calcaire, généralement colorée en rose par des impuretés ferrugineuses et recouverte d’un émail blanc opaque. L’appellation faïence stannifère s’explique par l’emploi dans la composition de l’émail, de l’oxyde d’étain, qui est un opacifiant pour obtenir une glaçure blanche.
- Un village, plusieurs manufactures, des centaines de milliers de carreaux…
En 1824, le village de Ponchon est renommé pour les carreaux de faïence stannifère que fabrique Pierre François Dumontier à Roye, hameau de Ponchon.
En 1829, Jean-Baptiste Pomart, reprend la fabrique de son beau-père. Épousant une fille Pomart, Hildevert Alexis Decagny installe une dynastie de faïenciers au cœur de Ponchon.
Dès 1885, les Decagny disposeront d’une machine à vapeur, c’est une avancée technologique importante à cette époque.
Quelques années plus tard, en 1846, un troisième manufacturier, Pierre Noël Dupressoir, crée son entreprise au village où il était ouvrier auparavant.
À Pierrepont, autre hameau du village, en 1852, Prudent Truptil, également ancien ouvrier de Ponchon, s’installe à son compte.
En 1856, c’est au tour de Constant Hippolyte Leclerc qui est suivi par les frères Ledoux en 1861.
Les Tipret père et fils tentent leur chance mais échouent au bout de deux ans. Cependant, un huitième homme ose s’aventurer, Wulfrand Pépin, bien connu puisqu’il était instituteur au village qui, avec son successeur Petitpas, se lance dans la création des carreaux de faïence décorés avec les Fables de La Fontaine.
La pleine production s’établit avec six ateliers fonctionnant à plein rendement durant la seconde moitié du XIXème siècle. À cette période, la production annuelle de carreaux de faïence atteint 800 000 carreaux par atelier, soit 3,5 millions pour l’ensemble, vendus à Rouen (Seine-Maritime) et à Paris chez des revendeurs spécialisés…
Cependant, la guerre de 1870 provoque un ralentissement et Paris n’est plus accessible à l’entrée des carreaux neufs. Après la défaite, les fabricants retrouvent leur principal débouché avec la continuité des travaux entrepris par Haussmann.
Avec les constructions haussmanniennes, l’eau courante entre dans les maisons et les immeubles parisiens. Les besoins de protections des surfaces exposées à l’eau sont étayés par la prise de conscience de l’importance de l’hygiène dans la lutte contre les maladies. L’essort hygiéniste est un facteur principal du développement du carrelage mural en France.
Cela décide les céramistes de Ponchon à s’unir. Ils créent un consortium des fabricants de Carreaux de Faïence de Ponchon pour fortifier leurs réseaux de distribution. En 1855, on relève à Ponchon 4 fabricants de carreaux de faïence (Pommart, Dupressoir, Dumontier, Truptil).
En 1870, ils sont 7 ateliers (Decagny, Dupressoir, Dumontier, Leclerc, Truptil, Ledoux et Tipret). Cette association de fabricants de carrelage prendra fin dès 1914.
L’activité cesse progressivement, seule, l’ancienne faïencerie Dupressoir, devenue Daignas en 1914, résiste jusqu’en 1921 en se spécialisant dans la signalétique.
Les destructions liées à la première guerre mondiale engendrent un déclin de l’activité. Les manufacture de faïence de Ponchon ne s’industrialisent pas, contrairement à leurs concurrents industriels comme Creil, Gien ou Longwy, produisent des carreaux de faïence fine qui remportent un grand succès.
- Faïence Ponchon aujourd’hui, un Patrimoine Vivant
En 1991, Sylvie Thémereau, céramiste, établie à Ponchon à la fin de la décennie 80, mène les recherches nécessaires pour retrouver les process de fabrication et obtenir des carreaux de faïence décorés identiques aux carreaux du XIX°s. La manufacture Faïence Ponchon retrouve alors ses lettres de noblesses. Cette Entreprise du Patrimoine Vivant (E.P.V.) ainsi que son savoir-faire sont transmis sur plusieurs années à Caroline Sobczak.
Les carreaux de Faïence Ponchon sont aujourd’hui le témoignage des cuisines d’antan, où les habitants ont vécu et bien mangé. L’histoire habite les carreaux Faïence Ponchon ce qui les pare d’un aura unique. Nous oeuvrons chaque jour à vivifier cette tradition. C’est pourquoi, du carreau traditionnel au projet sur mesure, nous mettons tout notre savoir-faire au service de chaque projet.
Chaque carreau de Faïence Ponchon apporte authenticité et originalité aux maisons. Ils ont toujours été créés de façon traditionnelle et nécessite une pose artisanale.
Les carreaux de Ponchon sont présents aujourd’hui dans le monde entier, dans la maison de Claude Monet à Giverny (Eure), en passant par celle d’Emile Zola à Medan (Yvelines), au Château de Vaux-le-Vicomte, dans la maison familiale de Renoir à Essoyes (Aube) et jusqu’en Uruguay au Museo del Azulejo de Montevideo, où tout un département du musée leur est consacré.